Traversée du désert

Voilà. Nous y sommes. Les différents participants entrent tour à tour. Concentrés, les fronts préoccupés. Quelques saluts discrets qui pourraient exclure les installés à qui ils ne sont pas adressés. Mais l’honneur est sauf derrière un écran relevé. On n’a pas vu. On est absorbé par autre chose d’important, forcément. Ordinateurs entrouverts sur des bloc-notes au bord de la chute et câbles d’alimentation en bandoulière, ils continuent d’arriver, les pas de plus en plus pressés, les affaires de moins en moins bien empilées. Quelques mines affichent l’importance du sacrifice qu’il a fallu consentir pour être ici à l’heure. Une visioconférence abrégée, un brief reporté, une rédaction suspendue. Mais en soldats érigés en cadres, ils sont présents aux avant-postes. Ils ont une mission à remplir et comptent bien être à la hauteur de leurs responsabilités. Seul Maxime, stagiaire arrivé hier, sourit à tous et toutes et cherche – en vain – un semblant de réciprocité.

Les gourdes tapies dans l’ombre des aisselles émergent et viennent délimiter les espaces désormais territorialisés. Motifs ou unis, inscriptions personnalisées, photos des enfants qui ont mal supporté le thermocollage ou la luminosité d’un bureau exposé sud (les photos, entendons-nous bien, pas les enfants). Tac. Tac tac. Tac. Poser ses gourdes sur la table : voilà l’expression affichée des individualités. C’est drôle cette forêt faite d’inox ou de plastique : une oasis à transporter pour affronter la traversée d’un désert de deux heures minutées. Le fossé des générations se creuse, le grand renouvellement avance inexorablement. L’an passé, on comptait encore quatre tasses micro-ondées, dont une avec un logo Guiness et une autre jaune avec un petit nez en relief. Aujourd’hui, elles ne sont plus que deux. Seules rescapées d’un autre temps café-bouillu, café pas foutu.

L’affichette numérique de la salle vire au rouge-occupé. Le power-point s’affiche sur l’écran interactif. C’est là que l’observateur attentif peut distinguer la plèbe des tribuns. Les premiers tournent leurs regards vers l’écran, prêts à communier. Les seconds dévissent les bouchons et avalent deux lampées préventives. Puis reposent les flacons et regardent enfin l’assemblée. Les téléphones sont alignés, bien parallèles aux claviers. Tous et toutes sont prêts. La première parole finit de concrétiser pour les spectateurs avisés la hiérarchie qui régit l’assemblée. « Tout le monde est là ? Très bien, on peut commencer. ». Maxime, seul innocent armé d’un stylo et d’un carnet, sourit. La réunion va débuter.

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