Mon cœur est à papa

David Magnusson, photo-reportage sur les « Purity ball »
http://www.davidmagnusson.se/purity/purity

Le jour tant attendu est arrivé. Sous les mains expertes de sa sœur aînée, Maddie se métamorphose peu à peu en princesse éphémère. Dans la salle de bain familiale, le fer à friser passe et repasse dans les longueurs châtaines de la jeune femme, créant sous un diadème dûment arrimé une cascade de boucles laquées aussitôt formées. Le maquillage attendra d’avoir passé la robe. Il ne faudrait pas en tâcher le précieux organdi. La sœur repose précautionneusement le fer sur le bord de la vasque et admire son travail. Les regards émerveillés se croisent dans un instant complice.

Les filles passent dans la chambre attenante. Leurs pas assourdis par l’épaisse moquette, elles se dirigent vers un portant qui attend sous sa housse protectrice. D’un geste cérémonieux, la sœur dévoile une robe blanche aux reflets nacrés. En prenant soin de ne pas froisser le tissu, elle passe la légère corolle au-dessus de Maddie, ajuste le bustier autour de la mince poitrine et détend quelques plis épars. Ainsi parée, Maddie sourit à son reflet dans le miroir. Elle goûte cette robe d’un jour, porteuse de tant d’aspirations.

La sœur revient avec le maquillage. Rose sur les joues et sur les lèvres, ombre à paupières et mascara. Le visage évanescent prend peu à peu la gravité d’un âge qu’il n’a pas encore. Quand elle rouvre les yeux, Maddie rougit, un peu gênée à l’idée de la réaction de celui qui l’attend. La silhouette sophistiquée de leur mère fait irruption dans la pièce. Des larmes de circonstance atterrissent précieusement sur un mouchoir. On se prend dans les bras et on s’embrasse chastement pour ne pas défaire l’ouvrage.

Au bas de l’escalier, le père attend avec impatience dans un costume gris perle impeccable. Quand il aperçoit la jeune fille, sa bouche s’ouvre largement, conférant à son visage une expression béate. Ému, il passe au poignet de sa fille un petit bouquet de bal gris et ivoire et lui murmure sa fierté. Maddie est comblée. Ils montent tous deux dans le pick-up rutilant. La voiture s’éloigne. Restées sous le porche, les femmes agitent la main avec émotion.

Dix minutes suffisent pour rejoindre l’unique église évangéliste de la ville. Maddie et son père descendent de l’habitacle et se dirigent, comme d’autres couples endimanchés, vers l’entrée de la bâtisse de briques. Ils pénètrent fiers dans une salle décorée de ballons blancs et dorés. Les pères se rassemblent instinctivement autour du pasteur. L’air est chargé d’une excitation contenue. Les jeunes filles se jaugent, embarrassées par des beautés devenues des obstacles à l’insouciance habituelle. Les talons gênent les courses et les rires menacent de faire baver les rouges à lèvres.

Au signal du pasteur, les couples se retrouvent autour de tables dressées pour le dîner. Les semaines d’entraînement guident les gestes et les paroles. Les pères d’abord. Celui de Maddie se lève, arborant la fierté et le charisme attendus et prononce à l’unisson de ses compagnons les vœux pour lesquels il est venu. Il jure devant Dieu de préserver sa fille chérie jusqu’à son mariage, de garantir sa pureté. Maddie a les yeux baissés, intimidée. Un sourire éclaire son visage: elle est aimée.

Elle se lève à son tour et récite de sa voix fluette mais assurée les paroles apprises par cœur. Elle s’engage, face à ses Seigneur et géniteur à rester pure jusqu’au jour où elle s’offrira en cadeau de mariage à celui que Dieu aura placé sur son chemin. Elle ne saisit que vaguement les enjeux de sa déclaration. Du haut de ses onze ans, elle sait simplement qu’elle ne devra pas jouer avec, ou embrasser de garçon, et qu’un Prince l’attend quelque part. Cela lui suffit.

Elle se tourne, fière de sa prestation, vers son père. Devant les yeux émerveillés de sa fille celui-ci sort de sa poche un petit écrin d’où émerge bientôt l’éclat d’une bague. On peut y lire des mots d’amour dont on ne sait plus très bien s’ils sont ceux d’un père ou d’un fiancé. Les bras juvéniles entourent avec joie les épaules alourdies. On signe des contrats, prenant Dieu et le pasteur pour seuls juges. Puis on passe devant le photographe. Maddie arrange gravement le costume de son père avant de prendre la pose.

Avant que le dîner ne cède la place au bal, les robes de mariées subiront les assauts d’une jeunesse qu’elles auront finalement eu du mal à contenir. Seules les alliances et les photographies encadrées viendront demain rappeler que ces jeunes filles, désormais nus pieds et échevelées, ont plongé insouciantes dans la machinerie puissante des libertés entravées.

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